Appel à intérêt aux acteurs du marché du Rhin Supérieur: interview

Hydrogène : « les projets RHYn et RHYn Interco sont d’excellents exemples de coopération transfrontalière gagnant-gagnant »
Visuels Getty images et carte d'infrastructure dans le Rhin supérieur

Entre France et Allemagne, RHYn (côté français) et RHYn Interco sera l’un des premiers réseaux de transport d’hydrogène bas-carbone transfrontaliers à voir le jour en Europe, à l’horizon 2028. Décryptage par les trois opérateurs de réseau engagés dans le projet : GRTgaz, terranets bw et badenovaNETZE.

Lundi 18 septembre, les appels à manifestation d’intérêt du projet RHYn (Rhine HYdrogen Network) et RHYn Interco se sont ouverts des deux côtés du Rhin, pour une durée de deux mois. Prévus pour être interconnectés, ces réseaux de transport d'hydrogène bas-carbone doivent voir le jour à l’horizon 2028 dans la région du Grand-Est, en France, et celle du Bade-Wurtemberg, en Allemagne. D’ici 2035, l’infrastructure complète comptera près de 200 kilomètres de réseau, dont une grande partie issue de la conversion de canalisations de gaz naturel à l’hydrogène : 60 km côté français et 90 km côté allemand. L’ensemble viendra approvisionner des acteurs de premier plan, notamment industriels, en les connectant à la future dorsale européenne de l’hydrogène (European Hydrogen Backbone, EHB).

Pour les trois grands acteurs énergétiques engagés dans ce projet d’ampleur, les gestionnaires de réseaux de transport GRTgaz côté français et terranets bw côté allemand, mais aussi le gestionnaire de réseaux de distribution allemand badenovaNETZE, une nouvelle page de coopération européenne est en train de s’écrire. Jana Kavicka, Business Developer H2 chez GRTgaz, Stephanie Seybold, du département Politique Énergétique et Hydrogène chez terranets bw, et Leonie Meyer, Asset Management Officer et Project manager RHYn Interco chez badenovaNETZE GmbH, expliquent le projet.

Pourquoi la zone retenue dans votre périmètre est-elle prometteuse pour le développement d'une infrastructure de transport d'hydrogène ?

Jana Kavicka (GRTgaz) : « Le but est de relier avant tout la demande industrielle de la zone avec les futurs projets de production d’hydrogène. Côté français, dans le Grand-Est, le tracé passe à proximité de plusieurs sites de consommation importants, dont une plateforme chimique, et s’étend jusqu’au sud à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, le futur plus grand consommateur d’hydrogène de la zone pour les usages de mobilité. Pour GRTgaz, c’est un choix logique que de proposer ce projet dans une zone de forte présence de l’industrie, dont les besoins en matière de décarbonation sont importants, d’autant plus qu’il est possible de convertir une partie de notre réseau gazier et de proposer une infrastructure économiquement intéressante ». 

Stephanie Seybold (terranets bw) : « Nous nous efforçons de connecter le Bade-Wurtemberg aux infrastructures hydrogène européenne et allemende. Avec sa vaste zone d'approvisionnement, le distributeur badenovaNETZE est en outre le plus grand client du transporteur terranets bw dans la région du Rhin Supérieur. La demande dans le réseau aval de terranets bw s’avère donc particulièrement pertinente pour le développement d’une infrastructure hydrogène. »

Leonie Meyer (badenovaNETZE) : « BadenovaNETZE a sélectionné des zones où l'on peut s'attendre à un fort besoin d'approvisionnement en hydrogène. Ce choix se fonde d’une part sur une consommation actuelle de gaz élevée et, d'autre part, sur le potentiel d’intégrer de nouveaux secteurs, comme celui de la mobilité, pour une connexion au futur réseau d'hydrogène. Notre principal objectif est de montrer aux entreprises une manière d’atteindre la neutralité climatique. Pour de nombreuses industries implantées dans la région, la disponibilité d'hydrogène produit à partir de sources renouvelables est un facteur d'implantation décisif. »

Qu'attendez-vous de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) qui s'ouvre ?

Jana Kavicka (GRTgaz) : « GRTgaz développe ses canalisations hydrogène sur la base de demandes clients. Pour avancer sur la planification, nous avons donc besoin d’affermir les prévisions de production comme de consommation et de localiser les sites de production. Un appel à manifestation d'intérêt (AMI) permet de formuler des hypothèses fiables nécessaires au lancement d’une étude de faisabilité. Notre objectif ici est d’identifier les clients prêts à s’engager dans une vraie coopération. Pour que les infrastructures soient prêtes avant 2030, nous devons sérieusement avancer dans les 2-3 prochaines années. »

Leonie Meyer (badenovaNETZE) : « Nous souhaitons inciter davantage d'entreprises à soumettre une manifestation d'intérêt pour une connexion au réseau de distribution d'hydrogène. Avec le Centre médical de l'Université de Fribourg et Cerdia, un grand producteur d’acétate de cellulose, nous avons déjà deux entreprises partenaires. C'est très important pour la région, car cela nous permet de montrer aux producteurs possibles le potentiel de consommation de l'hydrogène qui existe dans notre région. Nous souhaitons par ailleurs faire davantage connaître le projet auprès des institutions politiques, pour leur montrer que l'hydrogène suscite un fort intérêt dans la région du Rhin Supérieur. »

Stephanie Seybold (terranets bw) : « Nous espérons que la présentation des projets RHYn et RHYn Interco nourrira en effet un intérêt important de la part des entreprises allemandes qui souhaitent contribuer au développement du premier réseau 100% hydrogène du Bade-Wurtemberg et soutenir le domaine de la production d'hydrogène. Si la demande d'hydrogène de la région dépasse de manière significative la production potentielle, nous aurons besoin de nous appuyer sur des routes d'importation de l'étranger efficaces. »

La particularité de ce projet est d’être transfrontalier. Qu'espérez-vous en termes de synergie franco-allemande ?

Stephanie Seybold (terranets bw) : « La France et l’Allemagne se complètent très bien ! Alors que la France a accès à d’importantes sources d’hydrogène et vise à les exporter, l’Allemagne sera dépendante à l’avenir des importations. Le sud de notre pays, en particulier, n’a presque pas de potentiel de production par rapport à la demande d’hydrogène attendue. La connexion avec la France créera ainsi pour le Bade-Wurtemberg un lien direct avec des routes d'approvisionnement majeures, la possibilité d’importer en grandes quantités depuis le corridor de la dorsale européenne de l'hydrogène (EHB) du sud-ouest de l'Europe et de l'Afrique du Nord. »

Leonie Meyer (badenovaNETZE) : « La coopération transfrontalière est essentielle pour connecter le Bade-Wurtemberg à la dorsale européenne de l'hydrogène et aux projets de production français. RHYn Interco est un projet essentiel pour atteindre cet objectif. En Allemagne, nous ne disposons pas aujourd’hui de capacités de production suffisantes pour approvisionner les consommateurs d'hydrogène. De plus, les connexions globales de gazoducs qui atteindraient le Rhin supérieur en Allemagne ne sont pas officiellement prévues avant 2040 au plus tôt. Avec la connexion à la France, la région du Rhin supérieur a ainsi la possibilité d'être reliée beaucoup plus tôt à un réseau de gazoducs longue distance (à horizon de 2028) et à la dorsale européenne de l'hydrogène (à horizon de 2030). Pour les clients potentiels de l'hydrogène, cette coopération signifie en outre un plus grand choix en matière d'approvisionnement. Le passage à un approvisionnement énergétique durable ne peut se faire qu'avec nos partenaires français. »

Jana Kavicka (GRTgaz) : « La capacité du réseau RHYn côté français correspond à 190 000 t d’hydrogène transporté par an, ce qui dépasse les besoins locaux actuels. Grâce à sa connexion transfrontalière avec RHYn Interco développé par le transporteur terranets bw et le distributeur badenovaNETZE, le réseau pourra en effet aider à décarboner les clients en Allemagne. Son bilan sera d’autant plus positif qu’il sera entièrement en accord avec les objectifs européens à horizon 2030. La décarbonation doit être un effort collectif et international ! »

Ce type de projet transfrontalier peut-il montrer la voie à une nouvelle approche européenne de développement des infrastructures des énergies décarbonées de demain ?

Jana Kavicka (GRTgaz) : « Ce qui est sûr, c’est que la coopération entre les opérateurs de réseaux est la clé de la réussite. L’exemple du travail entre GRTgaz et terranets bw montre aussi que même des TSOs qui jusqu’à présent n’avaient pas d’interconnexions entre eux, peuvent rapidement s’associer pour développer une collaboration très constructive. »

Stephanie Seybold (terranets bw) : « Oui, un système énergétique neutre pour le climat, avec une proportion élevée d’énergies renouvelables volatiles, ne peut être créé que dans un contexte international et paneuropéen. Le soutien mutuel et la coopération nécessaires au-delà des frontières nationales reflètent bien l’idée européenne. »

Leonie Meyer (badenovaNETZE) : « Les projets énergétiques transfrontaliers permettent d'optimiser l'utilisation des ressources. Dans certains pays ou régions, il existe des besoins énergétiques particuliers qui ne peuvent être satisfaits directement sur place. Il est donc essentiel de regarder au-delà des frontières nationales et d'envisager l'approvisionnement énergétique dans un contexte européen. Le projet RHYn Interco est un excellent exemple de coopération transfrontalière entre l'Allemagne et la France dans le secteur de l'énergie et une situation gagnant-gagnant pour les deux parties. Sans la connexion avec l'Alsace, les entreprises du Bade-Wurtemberg n'auraient qu'une perspective très vague en matière d'hydrogène. Grâce à la future connexion avec les sites de production alsaciens, les entreprises bénéficient d'une perspective concrète pour le passage à l'hydrogène. »

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